Famille Al-Hashash Rafah

L’Aïd des martyrs

7 personnes tuées

Chaque matin, sur le chemin de l’école, Mina, âgée de 5 ans, croise une affiche sur le bord de la route. Elle s’assure de passer juste à côté. Si elle rencontre des personnes dans la rue à ce moment-là, elle attire leur attention et les emmène près de l’affiche pour qu’ils la contemplent avec elle. On y voit des photos de ses frères et une rose pour représenter sa belle-mère Hanaa’. Les voisins ou les passants doivent rester pendant que Mina cite le nom de chacun d’entre eux. C’est seulement une fois le rituel achevé qu’elle les autorisera à partir.

La famille

Ahmed al-Hashash a toujours été la pierre angulaire de la famille. C’est un homme profondément religieux. Il est marié à trois femmes : Amina, Hanaa’ et Amna. Il a eu douze enfants avec elles. C’est une grande famille. Amna et Amina ont dit un jour de leur relation qu’elle était chaleureuse, attentionnée, que chacun se soutenait. «Nous ne faisions qu’un», affirmera Amna, la polygamie n’était pas un obstacle.

Les fils d’Ahmed font particulièrement sa fierté. Ils excellent à l’école. Comme de nombreux Palestiniens, Ahmed attache la plus haute importance à l’éducation, et en recevoir une alors que l’on se trouve dans une situation de déplacement et de déracinement permanent n’est pas une mince affaire. Ahmed est également le directeur adjoint d’une école de l’UNRWA, l’agence onusienne chargée de fournir des services aux réfugiés palestiniens. Il a toujours été un père et un enseignant rempli de fierté.

Un vieux diplôme de Mohammed al- Hashash.

Un vieux diplôme de Mohammed al- Hashash.

La maison de la famille al- Hashash à Rafah.

Beaucoup de femmes et d’hommes de la famille sont actifs auprès de leur communauté. Hanaa’ a ouvert le premier jardin d’enfants pour les familles du quartier al-Hashasheen à Rafah, où vivent les al-Hashash. Avec le temps, le jardin d’enfants a pris de l’ampleur et s’est transformé en centre de mobilisation, d’action et de soutien à l’autonomisation des femmes. Son beau-fils, Bilal, travaille comme avocat-stagiaire, il aide les gens à résoudre leurs problèmes avec les autorités locales. Mohammed, le fils d’Hanaa’, bien qu’handicapé par un accident de voiture, a fondé et supervisé une équipe de football pour les enfants du quartier. «Ils fonctionnaient en équipe lorsqu’il s’agissait d’aider les autres dans des situations difficiles au sein de notre communauté. Les gens ont l’impression d’avoir perdu la moitié des jeunes du quartier», décrit Ahmed.

« Ils fonctionnaient en équipe lorsqu’il s’agissait d’aider les autres dans des situations difficiles au sein de notre communauté. Les gens ont l’impression d’avoir perdu la moitié des jeunes du quartier »
AHMED AL-HASHASH

« Ils fonctionnaient en équipe lorsqu’il s’agissait d’aider les autres dans des situations difficiles au sein de notre communauté. Les gens ont l’impression d’avoir perdu la moitié des jeunes du quartier »

AHMED AL-HASHASH

Bombardements israéliens sur la région de Rafah. Photo prise le 3 Août 2014.

Ne jamais se réveiller

« Nous devons nous préparer à une opération militaire prolongée à Gaza » , annonce Benyamin Netanyahou, le premier ministre israélien, lors d’un discours au Parlement israélien, la Knesset. Nous sommes à la fin du mois de juillet, au milieu de l’invasion israélienne de la bande de Gaza. Son discours est également retransmis à Gaza. Plutôt que de célébrer la fin du mois de ramadan et le premier jour de la fête de l’Aïd el-fitr, ceux qui ont l’électricité l’écoutent avec appréhension. « Nous savions qu’il y aurait des jours difficiles et douloureux, ce jour-là en a été un », poursuit Netanyahou, parlant lentement, marquant des pauses pour faire en sorte que chaque mot pèse. Sa voix émanant de la télévision installée dans le foyer des al-Hashash est sporadiquement interrompue par le bruit des explosions qui se rapprochent de plus en plus de leur quartier.

Des personnes fuyant leurs maisons à l'extrémité sud de la bande de Gaza pendant l'offensive de 2014.

Hanaa’ n’en peut plus, et ce n’est pas rien car chacun sait qu’elle a une force incroyable. Elle part se coucher tôt et dit à Amina qu’elle espère ne plus jamais se réveiller. Le reste de la famille reste éveillé, discutant et plaisantant pour essayer de dissiper la tension créée par les bombardements de plus en plus rapprochés et la promesse de Netanyahou de poursuivre la guerre à Gaza.

Au petit matin, une explosion secoue la maison. Les membres de la famille se rassemblent au rez-de-chaussée, ils se blottissent les uns contre les autres. Les bombes continuent de tomber de plus en plus près. Masoud, le fils d’Amina, tente comme à son habitude de prendre les choses en main. Il décide de sortir inspecter la situation et de trouver une voiture afin d’évacuer la famille. Il est sur le perron lorsqu’un drone israélien le frappe avec un missile. «Nous l’avons vu mourir», raconte son père.

Mais pas le temps de pleurer sa mort. Le missile est peut-être un avertissement avant l’attaque principale. «Nous pensions que notre maison était la prochaine cible», explique Ahmed. La famille se précipite hors de la maison sans rien emporter. Hanaa’, coincée sur un fauteuil roulant par une paraplégie, doit être portée. Ahmed s’en charge, mais après 30 mètres, les forces et le souffle lui manquent. Ses deux fils, Said et Bilal, viennent à la rescousse. Toute la famille – 12 enfants, 3 femmes, Ahmed et ses parents âgés – s’empresse de fuir le plus vite possible par la route quand un missile de drone les frappe, à environ 60 mètres de leur maison.

Ahmed est blessé. Conscient, mais en état de choc. «Je voulais appeler une ambulance, mais je ne pouvais pas bouger», dit-il. Il regarde autour de lui. Il voit un bain de sang : ses proches blessés, ensanglantés, éparpillés dans toutes les directions par l’explosion. Il court d’une personne à l’autre pour voir qui est encore en vie.

Un voisin et membre de la famille, Mohammed, 20 ans, se précipite pour les aider. À la minute où il arrive sur les lieux, un drone israélien tire un troisième missile, tuant le jeune homme sur le coup. Quand les ambulances finissent par arriver, Hanaa’ et ses fils Ibrahim, Said, Mohammed et leur demi-frère Bilal sont en train de mourir. Leur petite soeur, Mina, 4 ans à l’époque, est blessée. À l’hôpital, le chaos règne et il n’y a pas assez de médecins disponibles pour prendre en charge tous les blessés. Ahmed doit retirer lui-même l’éclat d’obus du corps de Mina.

QUI ÉTAIENT-ILS?

QUI ÉTAIENT-ILS?

Hanaa'

Hanaa’ était une personne très engagée, la matriarche du quartier. Elle s’était installée à Rafah apres avoir épousé Ahmed en 1993. Elle y avait inauguré le premier jardin d’enfants de la zone, devenu aussi un centre d’autonomisation des femmes. Elle l’avait appelé Al-Nour, la lumière, 15 000 personnes ont pu bénéficier de ses services au fil du temps. Puis elle était tombée malade et avait perdu l’usage de ses jambes. Depuis ce jour, elle était forcée d’utiliser un fauteuil roulant. Elle s’était retrouvée confinée chez elle, où elle passait ses journées à lire le Coran. Mais personne n’abandonna l’idée de l’avoir dans sa vie : chacun connaissait la sagesse d’Hanaa’ et on lui rendait régulièrement visite pour lui demander conseil.

Mohammed

Tous les enfants de la famille avaient leur part de succès, mais ceux de Mohammed rendaient Ahmed et Hanaa’ particulièrement fiers. Ils avaient tous les deux un faible pour lui après avoir failli le perdre quand il avait neuf ans dans un accident de voiture qui l’avait plongé dans le coma. Hanaa’ en perdit presque la raison. Elle pria encore et encore, demandant à Dieu de le ramener. Il finit par se reveiller mais dû faire face à une longue et douloureuse rééducation afin de retrouver sa mobilité. L’accident l’avait transformé à plusieurs titres. Bien que physiquement handicapé, l’enfant timide devint un jeune homme plein de vie. Même s’il ne pouvait pas lui-même pratiquer un sport, cela ne l’avait pas empêché de fonder une équipe de football de quartier. Il organisait les entraînements et les matchs. L’équipe joue toujours.

Said

Said était un jeune homme pieux, comme son père, et impliqué dans la vie de la communauté, comme sa mère. «Il aimait que sa voix soit entendue dans tout le quartier», se rappelle Amina, sa belle-mère. Dès qu’il se passait quelque chose, il courait à la mosquée – s’il n’y était pas déjà – et grimpait dans le minaret pour utiliser le haut-parleur et annoncer les nouvelles à tout le quartier. «Un enfant perdu, une visite du docteur, une cérémonie, un hommage..», détaille Amina. L’après-midi, il avait l’habitude de venir à la maison et de frapper aux portes de ses demi-soeurs pour leur apporter du chocolat ou des fleurs, ou simplement pour s’assurer qu’elles allaient bien et leur demander si elles avaient besoin de quelque chose.

Bilal

Même si Bilal n’était pas le fils d’Hanaa’, il lui ressemblait : il était dévoué à la communauté. Le jeune homme de 24 ans travaillait comme avocat-stagiaire et aidait les gens de la communauté locale à résoudre leurs problèmes avec la municipalité de Rafah. En dehors de son travail, Bilal et quelques-uns de ses amis de la faculté de droit s’occupaient de dossiers de personnes dans le besoin qui n’avaient pas les moyens de se payer les services d’un avocat. Il aimait aider : c’était instinctif chez lui.

Masoud

C’était un joyeux jeune homme de 19 ans, le fils aîné d’Amina. Comme tous les jeunes de Gaza, il avait déjà vécu trois guerres durant sa courte vie, et il en portait toujours des stigmates. Ramadan était sur le point de prendre fin. Traditionnellement, cela aurait dû sonner l’heure de la fête, avec l’Aïd el-fitr or il était difficile de se réjouir en plein milieu d’une guerre, pendant que les bombardements faisaient rage. Plutôt que de souhaiter à un ami «une bonne fête de l’Aïd», il envoya « Triste Aïd » et « Aïd des martyrs » .

Ibrahim

Ahmed possède une collection de photos de ses fils. Pas une semaine ne passe sans qu’il ne la regarde et replonge dans ses souvenirs. Il se rappelle souvent d’Ibrahim, 16 ans, et de son sourire rayonnant. « Un adolescent pétillant » , confie son père, si doux que les gens l’appelaient « la colombe de la paix » .

Le sac à dos d'Ibrahim. « Ibrahim adorait dessiner et il était vraiment doué » , se souvient son père.

Le sac à dos d'Ibrahim. « Ibrahim adorait dessiner et il était vraiment doué » , se souvient son père.

MINA

Ibrahim était le frère préféré de Mina, 4 ans. Elle dort encore dans son lit. Elle ne peut pas s’arrêter de parler de lui à qui veut bien entendre. Elle rêve de lui. « Une fois, elle s’est réveillée au milieu de la nuit pour demander “où est parti Ibrahim? ” » explique sa mère  Amna. A maintenant 5 ans, la jolie petite fille ne parvient pas à contrôler ses excès de colère. Parfois, ils sont dirigés contre sa mère: Mina lui reproche la mort de ses demi-frères. « Tu t’es echappée et tu ne les as pas emmenés avec toi » , dit-elle. « Pourquoi est-ce qu’ils sont morts et pas nous? » .

« Allons visiter tata Hanaa’, qui s’est transformée en petit bébé » , dit Mina. Sa famille s’y est habituée. Sumaya, la demi-soeur de Mina, explique que les femmes de la famille al-Hashash ont décidé de donner à tous leurs nouvaux-nés le nom de celles et ceux tués par l’attaque israélienne. «Mina est absolument convaincue que ces bébés sont ses frères et Hanaa’. Elle croit qu’ils ne sont pas morts, qu’ils sont juste redevenus des enfants pour qu’ils puissent tous grandir avec elle.»

Ecoutez deux psychologues de Gaza parler du traumatisme des enfants. Diaporama avec des peintures de Raed Issa, un artiste de Gaza.

personnes tuées dans l'attaque sur Rafah

29 juillet 2014

  • BILAL AHMED AL-HASHASH
    24, fils d’Ahmed et Amina
  • SAID AHMED AL-HASHASH
    20, fils d’Ahmed et Hanaa'
  • MASOUD AHMED AL-HASHASH
    19, fils d’Ahmed et Amina
  • MOHAMMED AHMED AL-HASHASH
    19, fils d’Ahmed et Hanaa'
  • IBRAHIM AHMED AL-HASHASH
    15, fils d’Ahmed et Hanaa'
  • HANAA' JABER ALI AL-HASHASH
    47, mère de SAID, MOHAMMED et IBRAHIM
  • MOHAMMED MOUSA AL-HASHASH
    20, voisin et membre de la famille éloignée