Famille Balata Camp de refugiés de Jabaliya

J'ai tout rénové

11 personnes tuées

Naim est assis dans une pièce remplie d’oiseaux, buvant son café du matin. Fin juillet 2014, l’armée israélienne avertit la population à l’est du camp de réfugiés de Jabaliya d’évacuer la zone. Naim est déchiré : doivent-ils tout laisser derrière eux et courir ? Qui s’occupera des oiseaux ? La maison de son frère Abdelkarim, où ils peuvent aller, est couverte par un épais toit de ciment, ce qui pourrait les protéger des débris en cas d’explosions dans les environs. Naim n’a, au-dessus de la tête, qu’une une mince couche de tuiles de fibrociment, qui ne parviennent même pas à protéger sa famille de l’impitoyable chaleur de l’été. Le fils de Naim, Ala, âgé de 17 ans, était parti au marché lorsqu’il a vu des gens qui fuyaient. Certaines personnes transportaient leurs possessions, d’autres étaient montés sur des chariots tirés par des ânes ou bien des tuk-tuks, quelques personnes avaient des voitures remplies jusqu’au toit. En rentrant chez lui, Ala arrive à convaincre son père qu’ils devraient fuir eux-aussi et se rendre chez leur oncle Abdelkarim, qui habite aussi dans le camp de réfugié de Jabaliya, mais dans une maison avec une construction beaucoup plus solide.

La famille s’attable pour le déjeuner dans la maison d’Abdelkarim et se raconte des blagues et des histoires afin d’essayer de transformer cette évacuation forcée en réunion de famille. Un peu plus tard dans la journée, la grande sœur d’Ala, Wafaa’, s’est mise à lui parler de mariage. Leur mère avait quelqu’un en tête pour Ala. Il a écouté, mais il a tout de même rit de l’idée.

Les bombardements commencent le 29 juillet en après-midi et durent jusqu’au jour suivant. La maison du frère de Naim, Abdelkarim, où la famille s’est réfugiée, est touchée le premier jour. Elle est atteinte par plusieurs obus, l’un d’entre eux tombe directement sur la chambre où dorment les sœurs d’Ala. Ses parents ainsi que l’ensemble de ses sept frères et sœurs sont tués.

"DELO"

Chambre d’Hadil, 17 ans, surnommée « Delo ». « Elle se préparait à devenir médecin comme elle l’avait promis à son grand-père » - dit le père d’Hadil, Abdelkarim. Elle a obtenu 92% dans ses examens finaux au lycée. Elle était la fierté de toute la famille.

Sofa
Les familles des deux frères Naim et Abdelkarim ont pris le déjeuner ensemble. Lorsque les bombardements ont commencé peu de temps après, la plupart d’entre eux faisaient la sieste.
Sofa

Les familles des deux frères Naim et Abdelkarim ont pris le déjeuner ensemble. Lorsque les bombardements ont commencé peu de temps après, la plupart d’entre eux faisaient la sieste.

ABDELKARIM ASSIS SUR LES DÉCOMBRES
« Nous sommes maintenant sans-abris. Je demande justice, je demande qu’une cour internationale tienne Israël comme responsable pour l' assassinat de notre famille, sans avertissement. Tout ce que je veux c’est qu’un procureur s'occupe de notre cas, mais personne ne veut s’y mettre. » - dit Abdelkarim.
ABDELKARIM ASSIS SUR LES DÉCOMBRES

« Nous sommes maintenant sans-abris. Je demande justice, je demande qu’une cour internationale tienne Israël comme responsable pour l' assassinat de notre famille, sans avertissement. Tout ce que je veux c’est qu’un procureur s'occupe de notre cas, mais personne ne veut s’y mettre. » - dit Abdelkarim.

En sécurité nulle part

La maison d’Abdelkarim a été détruite et sa famille est à la rue. L’offensive israélienne bat son plein et la famille a besoin d’abri. Les écoles de l’UNRWA, où les gazaouis déplacés se réfugient, sont pleines. Et avant qu’ils puissent même considérer se rendre dans un de ces refuges temporaires, douze heures seulement après l’attaque sur leur maison, une école primaire non loin de là, dans le camp de Jabaliya, sera bombardée par l’armée israélienne. Près de cent personnes seront blessées, et dix-neuf – majoritairement des femmes et des enfants – sont tuées.

La maison de Naim est vide et toujours debout. Au début, Ala est incapable d’y retourner. Tout, littéralement, lui remémore sa famille. Alors que la famille d’Abdelkarim s’y installe, Ala rassemble quelques affaires, porte les canaris de son père chez un cousin, et se rend lui-aussi dans une des écoles surpeuplées de l’UNRWA.

Pendant un temps, Ala vit entre l’école et la maison d’un autre de ses oncles. Dans l’école, il n’y a pas de place dans les classes, alors il dort dehors, dans la cour de récréation. Les jours sont terriblement chauds, et les nuits froides.

Ala n’arrive pas à savoir quel endroit est le plus sûr. Après tout, sa famille est morte en cherchant refuge chez un proche, et, tout près, une école de l’UNRWA a été bombardée par l’armée israélienne. Finalement, il choisit l’école. Mais durant la dernière semaine de bombardements il est si terrifié qu’il ne peut pas du tout sortir de cet abri temporaire. Il ne s’y sent pas bien, mais il pourtant il y reste, même après la guerre.

Plus d’information sur le déplacement des Palestiniens

Même les oiseaux ressentaient aussi la perte tragique

Une fois prêt à retourner chez-lui, Ala ramène les oiseaux à la maison familiale. Il les remet dans la même pièce, où son père avait l’habitude de boire son café chaque matin. Il est résolu à prendre bien soin d’eux. Ala veut accomplir les souhaits de ses parents – son père, en plus de s’occuper des oiseaux, aurait voulu qu’Ala retourne à l’école, alors que sa mère aurait souhaité qu’il se marie et ait sa propre famille. Naim était électricien, il a travaillé fort toute sa vie afin que ses enfants n’aient pas à le faire, afin que chacun ait la chance de terminer l’université. Doaa’, la défunte sœur d’Ala de 22 ans, avait déjà obtenu son diplôme, alors que Wafaa’ et Hanaa’ étaient toujours étudiantes. Il veut faire de même, mais cela va être un vrai combat.

Comme si les oiseaux ressentaient aussi la perte tragique, ils commencent à mourir l’un après l’autre. Ala vend les derniers quatre mois après la fin de la guerre. Il essaye de repasser ses examens finaux afin d’être accepté à l’université, mais étudier est difficile pour lui. Non seulement parce que l’école ne lui convient pas, mais aussi parce qu’il est traumatisé. Les traumatismes de la guerre rendent la concentration et la mémorisation extrêmement difficile. Mais il reste une dernière chose sur laquelle il est fermement décidé et dont il n’abandonne pas l’idée : avoir sa propre famille. Pour lui, cela n’est possible qu’avec une seule personne: sa cousine Amuna, dont sa sœur lui avait parlé la veille de l’attaque.

Sa propre famille

Les oncles et les cousins d’Ala l’aident à organiser le mariage, un an après l’attaque. Sur une petite scène dans la salle de noces de Jabaliya, illuminée par des lumières fluorescentes et remplie de chaises en plastiques, sur lesquelles prennent place des douzaines de femmes de la famille éloignée, Ala et la mariée Amuna dansent avec leur famille proche. Ils ont l’air assez heureux, quoique un peu dépassés. Mais il y a aussi eu les moments difficiles. Lors d’une chanson jouée traditionnellement pour la mère du marié, la cousine d’Ala monte sur scène pour danser à sa place. Des photos des membres de la famille d’Ala tués lors de l’attaque sont suspendues au-dessus des invités, du côté des hommes dans la rue et comme du coté des femmes dans la salle de réception.

Aujourd’hui, deux ans après l’attaque, Ala et Amuna attendent un enfant. Amuna est enceinte de quatre mois. Ils savent déjà que ce sera une fille. Les deux semblent heureux au téléphone. Déjà en septembre 2014, alors qu’Ala habitait toujours dans l’école de l’UNRWA, il savait qu’il allait devoir continuer sa vie et fonder sa propre famille. « Je donnerai à mes futurs enfants les noms de mes parents, de mes frères et de mes sœurs tués » – nous avait-il alors expliqué, il y a près de deux ans. La fille se nommera Sahar, comme la mère d’Ala.

personnes tuées dans l'attaque sur Camp de refugiés de Jabaliya

29 juillet 2014

  • NAIM NAZMI BALATA
    45 ANS
  • SAHAR MTAWI' BALATA
    39 ANS, ÉPOUSE DE NAIM
  • MARIAM NAIM BALATA
    24 ANS, FILLE DE NAIM ET SAHAR
  • DOAA' NAIM BALATA
    22 ANS, FILLE DE NAIM ET SAHAR
  • HANAA' NAIM BALATA
    19 ANS, FILLE DE NAIM ET SAHAR
  • ISRAA' NAIM BALATA
    13 ANS, FILLE DE NAIM ET SAHAR
  • ALAA' NAIM BALATA
    14 ANS, FILLE DE NAIM ET SAHAR
  • YAHIA NAIM BALATA
    8 ANS, FILS DE NAIM ET SAHAR
  • WAFAA' NAIM BALATA
    21 ANS, FILLE DE NAIM ET SAHAR
  • ABDELKARIM NAZMI BALATA
    1 AN, FILS DE WAFAA’ ET PETIT-FILS DE NAIM ET SAHAR
  • HADIL ABDELKARIM BALATA
    17 ANS, FILLE DE ABDELKARIM NAZMI BALATA